Nanoélectronique

La micro-électronique est un important débouché industriel pour les producteurs d’or, notamment pour la réalisation de contacts électriques stables dans le temps. Cela représente 100 tonnes chaque année [1]. Mais où en est la nano-électronique ? Ce domaine est encore entre les mains des chercheurs et posent de nombreuses questions fondamentales. Comment se comportent les courants électriques à l'échelle de quelques atomes ou à l'échelle de la molécule ? Des dispositifs impliquant des nanoparticules d’or peuvent aider à répondre à cette question de trois manières : pour aider à mieux comprendre les particularités du contact molécule-métal, pour contrôler l’application d’un champ électrique à l’échelle nanométrique et enfin pour générer des électrons chauds via un couplage plasmonique et électronique. Ce dernier aspect est au cœur des recherches des physiciens, ces dernières années.

Figure 1. Modèle théorique montrant l’assemblage de nanoparticules d’or (différentes tailles) connectées par des molécules cycliques de porphyrines (visible dans l’encart). En fonction du nombre de porphyrines, la conduction électrique est modifiée, ce qui prouve que les électrons transitent via les enchaînements molécules-nanoparticules.
Fig. 2. Une nanoparticule d’or chimiquement greffée sur une couche moléculaire permet d’explorer les mécanismes fondamentaux de conduction électriques. Image de microscopie STM. La conductance (c’est-à-dire la dérivée du courant) laisse voir les électrons un à un traversant ce dispositif. A une température de 40 K, ce courant présente des marches de 10 pA, qui apparaissent comme des pics sur la courbe de la conductance.

Les nanoparticules pour comprendre la nature du contact molécule-métal

Ces 40 dernières années, les technologies de la microélectronique ont développé l’art de contrôler les courants électriques pour transmettre des signaux binaires (0-1 ou commutation « on » /« off ») donc de l’information. C’est le cœur du fonctionnement des ordinateurs et des smartphones. La clef des évolutions futures réside dans la capacité à miniaturiser encore toutes ces fonctions de traitement de l’information et à réduire leur consommation d’énergie.

Dans cette course technologique, les nanoparticules apparaissent comme les plus petits conducteurs réalisables en termes de taille. Même si aujourd’hui, il n’est pas certain que les futurs micro-processeurs utiliseront des nanoparticules d’or, ces nanoparticules sont des objets quasi-idéaux pour étudier les phénomènes de transfert de charge électrique à des échelles nanométriques. Par ailleurs, l’électronique moléculaire vise à utiliser des molécules uniques pour leurs propriétés de luminescence, de conduction ou de commutation ; dans cette approche, il devient crucial d’assurer la connexion des molécules avec le circuit électrique. C’est à ce niveau que la nanoparticule d’or apparait comme une électrode idéale puisqu’elle est de taille intermédiaire entre la molécule et les connecteurs typiques de la micro-électronique.

Une première étude de ces contacts a été menée en 2012, en déposant une monocouche de nanoparticules d’or (40 nm) sur du verre, puis en connectant ces nanoparticules entre elles par des molécules conjuguées, des porphyrines (Figure 1). Cette couche hybride est ensuite placée entre deux électrodes séparées de 70 µm [2]. La conduction électrique est donc étudiée sur cette distance de 70 µm et montre différents mécanismes électriques mis en jeu, qui ne peuvent pas être définis par la loi d’Ohm qui est la loi électrique majeure régissant le monde macroscopique. Sur ces dispositifs, la conduction est contrôlée, soit par l’effet tunnel, soit par des contacts Schottky ou encore par de l’émission thermo-ionique. Mais l’enchevêtrement de ces effets reste encore mal compris.

D’autres études s’intéressent plus directement au contact entre une nanoparticule d’or et une molécule. Les nano-courants électriques véhiculés par ces assemblages nanométriques adoptent des comportements quantiques : les particules jouent le rôle de « nano-réservoirs » à électrons, si petits qu’ils permettent de contrôler le courant électrique, électron par électron. Ce phénomène est appelé « blocage de Coulomb » et il permet d’imaginer une électronique avec les plus faibles courants imaginables, qui serait en quelques sortes une miniaturisation ultime. La Figure 2 montre l’évolution de la conductance (la dérivée du courant par rapport à la tension V) à travers une nanoparticule d’or en fonction de la tension appliquée [3]. L’un des objectifs est de réaliser des transistors à un seul électron : le courant serait constitué d’une succession d’électrons uniques traversant la nanoparticule à la queue leu-leu. En termes de consommation électrique, de tels composants seraient donc très peu gourmands en énergie.

 

 

Figure 3. Evolution du travail de sortie d’une nanoparticule d’or sphérique dans le vide, en fonction de son diamètre.

Les effets électriques et électrostatiques autour des nanoparticules individuelles

Une propriété-clé des matériaux lorsqu'on traite de leurs propriétés électroniques est le travail de sortie (Work Function en anglais). Le travail de sortie est clairement défini pour un matériau pur ayant une surface bien plane et bien nette. Il s'agit de l'énergie nécessaire pour extraire un électron de la bande de conduction et le placer dans le vide, en position de repos. Cette notion devient floue lorsque les surfaces sont rugueuses ou lorsqu'elles comportent des charges locales ou encore quand il s’agit d’une nanoparticule. De plus des molécules adsorbées sur ces surfaces induisent un transfert de charges et des moments dipolaires. Tous ces effets influencent grandement le transport électrique, lequel joue un rôle crucial dans le domaine du photovoltaïque, par exemple. Là encore, les nanoparticules d'or sont des nano-objets idéaux pour étudier ces variations de propriétés électroniques car il est possible d'ajuster facilement leur diamètre et leur fonctionnalisation chimique de surface (voir Section Synthèse et Fonctionnalisation), sans qu’elles subissent d'oxydation indésirable [4]. Par exemple, le travail de sortie d’une surface d’or sous vide est d’environ 5.1 eV. Mais une nanoparticule d’or sphérique de 3 nm de diamètre, sous vide, voit son travail de sortie augmenter à 5.3 eV (voir Figure 3) [5]. Ces effets ont d’importantes conséquences notamment sur la réactivité des nanoparticules.

Figure 4. Quelques effets provoqués par des électrons chauds quand ils sont excités par des photons dans un matériau donné. a) le processus de photoémission est souvent provoqué par des photons de haute énergie (rayons X). b) Dans une nanoparticule, la résonance de plasmon piège la lumière et tend à favoriser sa conversion en chaleur : c’est la nano-thermie. c) les photo-électrons générés par des rayons X ou UV peuvent induire des réactions chimiques ou d) provoquer la désorption de certaines molécules. e) Les photo-électrons peuvent également mener à un dopage du semiconducteur quand ils sont recueillis par la bande de conduction.

Les électrons chauds générés par des particules plasmoniques

Dans une expérience conventionnelle de transport électronique, les électrons de conduction ont une énergie proche de celle du niveau de Fermi, et sont faiblement perturbés par rapport à leur état d’équilibre. Les électrons chauds au contraire, sont excités fortement au-dessus du niveau de Fermi, soit via une jonction tunnel (STM), soit via une onde optique, ou un faisceau d’électrons. Les électrons chauds correspondent à des états électroniques excités dont la durée de vie est très brève, de l’ordre de quelques dizaines de femto-secondes. Ils sont très minoritaires devant les électrons non perturbés et reviennent très rapidement à leur état d’équilibre initial. Ils sont donc difficiles à détecter. La manière la plus courante d'exciter des électrons chauds est d'utiliser l'interaction avec des photons, via une excitation lumineuse dans des nanostructures plasmoniques. C’est là où interviennent les nanoparticules d’or. Cette interaction génère alors des photo-électrons qui donnent lieu à une large gamme d'effets résumés dans la Figure 4. Actuellement, ces effets intéressent fortement les physiciens car il s’agit d’une manière de concentrer l’énergie lumineuse pour exciter ces électrons chauds de haute énergie. Dans ce cadre, les interfaces nanoparticules-semiconducteurs sont spécialement importantes pour produire de tels électrons chauds et les collecter. Les perspectives de ces recherches se situent dans deux domaines majeurs : la réalisation de nouveaux types de composants optoélectroniques ou photovoltaïques d’une part, et dans la mise au point de nouvelles réactions chimiques grâce à la catalyse activée par le plasmon [6] (voir section Catalyse et Réactivité).

                                                                                                                                  Olivier PLUCHERY


Références

[1] T. Keel, R. Holliday and T. Harper, Gold for good. Gold and nanotechnology in the age of innovation. (World Gold Council, London, 2010).

[2] D. Conklin, S. Nanayakkara, T.H. Park et al. Electronic Transport in Porphyrin Supermolecule-Gold Nanoparticle Assemblies, Nano Lett. 2012, 12, 5, 2414–2419 https://doi.org/10.1021/nl300400a

[3] Pluchery, O., Gold Nanoparticles to Drive Single-Electron Currents. SPIE Newsroom 2015. https://spie.org/news/5967-gold-nanoparticles-to-drive-single-electron-currents

[4] Y. Zhang, O. Pluchery, L. Caillard et al. Nano Letters, Sensing the Charge State of Single Gold Nanoparticles via Work Function Measurements. Nano Lett. 2015, 15, 1, 51–55.  https://doi.org/10.1021/nl503782s

[5] D.M. Wood, Classical Size Dependence of the Work Function of Small Metallic Spheres, Phys. Rev. Lett. (1981) 46, 749 https://doi.org/10.1103/PhysRevLett.46.749

[6] Plasmon-induced hot carrier science and technology, Mark L. Brongersma, Naomi J. Halas & Peter Nordlander, Nature Nanotechnology, volume 10, pages 25–34 (2015) 

Pour aller plus loin

Particules d'or: plasmonique et nanoélectronique. Article rédigé par J Burgin & O. Pluchery, paru dans le magazine l'Actualité Chimique, n°425, Janvier 2018.
https://new.societechimiquedefrance.fr/numero/particules-dor-plasmonique-et-nanoelectronique-p21-n425/

http://www.nature.com/articles/nnano.2014.311?page=18